Les révoltés de l’an 2000 (1976) de Narciso Ibáñez Serrador

Un couple d’Anglais, Tom et Evelyn, débarque sur la petite île d’Almanzora. À leur arrivée, ils découvrent un village totalement abandonné de ses habitants. Bientôt, des enfants au comportement étrange font leur apparition. Et s’ils avaient quelque chose à voir avec la disparition de la population adulte ?

© Arcadès

Quiconque pourrait tuer un enfant

Qui pourrait tuer un enfant ? Derrière cette question-choc se cache le titre original des Révoltés de l’an 2000, qui annonce la thématique principale du film. Imaginez-vous : si les enfants se mettaient subitement à assassiner les adultes sans aucune raison apparente, seriez-vous capable d’en venir au meurtre pour vous défendre ? C’est la question à laquelle Narciso Ibáñez Serrador va tenter de répondre avec les personnages de Tom et Evelyn, un couple de touristes anglais en voyage sur l’île fictive d’Almonzora.

En terme de structure, Les révoltés de l’an 2000 est un film d’horreur extrêmement classique. Le couple arrive sur une île normale à première vue, avant d’être alerté par des environnements vides et des enfants aux comportements étranges. Peu à peu, ils comprennent ce que le spectateur avait déjà déduit, puis tentent de quitter les lieux coûte que coûte. Le film se démarque principalement par ses deux originalités : son esthétique et ses antagonistes. Pour ce qui est de l’image, ce faux paradis est filmé avec une photographie solaire absolument délicieuse, offrant un véritable décalage avec l’horreur des événements. La dernière restauration du film offre un rouge très marqué qui accentue le sang des scènes gores ainsi que les visages des personnages qui rougissent sous la chaleur. Concernant les antagonistes, le constat est également réjouissant : les enfants agissent bel et bien en tant que tels, ils tuent en riant comme s’ils jouaient à la marelle. On assiste par exemple à une scène dans laquelle les enfants essayer de faucher le cadavre d’un vieillard comme s’il battaient une piñata. 

Malheureusement, le tournage d’un film d’horreur avec des mineurs implique d’utiliser des doublures sur un certain nombres de scènes, sous peine de traumatiser les acteurs. C’est le cas de la fameuse scène de la piñata, qui aurait sans doute été plus efficace sans ce montage criard essayant désespérément de nous faire croire que les enfants tiennent bien une faux. La scène finale, dans laquelle les enfants agissent comme une horde de zombies, aurait également été plus marquante si la caméra n’esquivait pas leurs visages en permanence. Le propos s’en retrouve édulcoré, le comble pour un film d’horreur avec un message. La musique est cependant de très bonne qualité, même si elle est parfois trop envahissante, frisant de temps en temps avec le nanardesque. Gros point noir du film, les deux personnages principaux manquent cruellement de substance, Tom en tête. Lorsqu’Evelyn meurt, le montage ne montre presque jamais la réaction de son fiancé, qui avait pourtant l’air de tenir à son épouse. Problème d’acteur, oubli au tournage, problème de montage ? Quoi qu’il en soit, ce qui aurait dû être l’une des scènes les plus marquantes du film est ratée. 

Sur le fond, la plus grosse déception est annoncée par le titre. Qui pourrait bien tuer un enfant ? La réponse apportée par le film est évidente : n’importe qui dont la vie en dépendrait. Lors d’une scène de tension, le couple va se retrouver bloqué dans une pièce avant d’être menacé par un enfant souriant armé d’un pistolet, face auquel Tom n’aura d’autre choix que de se défendre en lui tirant dessus. Si l’image en choquera certains, le contexte empêche d’y voir une tragédie : le meurtre était inévitable, et il a été commis en légitime défense sous le stress. De plus, étant donné qu’on suit le couple depuis le début du film, impossible de prendre en pitié le moindre enfant. Évidemment, le questionnement de base est plus un prétexte qu’autre chose, c’est juste une façon d’introduire une vengeance faussement justifiée. Cependant, l’insistance du film avec ses huit premières minutes d’archives montrant des enfants victimes de la guerre force le spectateur à prendre en compte son propos. D’ailleurs, l’intérêt de ces images est discutable : n’est-ce pas un aveu de faiblesse pour un film d’horreur de s’introduire sur des images plus horribles que celles que l’on s’apprête à voir ? Le montage de ce générique est cependant très bien mené, alternant entre la radio annonçant des bilans humains catastrophiques et des chants d’enfants. Dans un des bonus, le réalisateur regrette de ne pas avoir placé cette séquence à la fin de son film, et non au début. Sur le plan dramatique, l’impact aurait sans doute été plus fort, puisque l’empathie finale aurait été du côté des enfants malgré leur violence gratuite. Il est dommage que cette idée n’ait pas été retenue, même si ce générique serait resté une facilité.

Il en résulte un film agréable sur la forme, qui prend le temps d’envoûter son spectateur avec un suspens très bien mené et des coups de théâtre efficaces. Malheureusement, Les révoltés de l’an 2000 pâtit de ses nombreuses maladresses, notamment sur son propos ainsi que l’écriture des personnages. Pas le chef d’oeuvre annoncé, mais un bon moment assuré.

Note sur l’édition Blu-Ray : Derrière le steelbook d’une élégante sobriété, les bonus s’avèrent inégaux : tous les suppléments qui parlent directement du film sont dispensables. La préface de Fabrice du Welz n’est pas assez personnelle pour être touchante et ne contextualise pas assez pour être instructive. Narciso Ibáñez Serrador ne dit pas grand chose d’intéressant sur son film dans son entretien de 9 minutes. Heureusement, le chef opérateur José Luis Alcaine sauve un peu la face en expliquant son travail sur l’image dans un entretien de 16 minutes. Les deux derniers suppléments ne concernent pas directement le film, mais ils sont indispensables : pendant 27 minutes, plusieurs réalisateurs nous nous présentent Narciso Ibáñez Serrador, qui s’avère être l’équivalent espagnol de Hitchcock. Un autre bonus d’une même durée nous fait découvrir le cinéma fantastique espagnol en enchaînant les noms de films et de réalisateurs, de façon à savoir quoi regarder après Les révoltés de l’an 2000. Les suppléments s’avèrent donc corrects dans leur globalité, même s’il est dommage que le film soit aussi peu mis en avant.

Les révoltés de l’an 2000 de Narciso Ibáñez Serrador / Avec Lewis Fiander, Prunella Ransome, Luis Ciges / Sortie en 1976, disponible en Blu-ray depuis septembre 2020.


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