La Fiancée du pirate (1969) de Nelly Kaplan

Marie vit avec sa mère dans une cabane isolée dans la forêt, à proximité du village de Tellier. Les deux femmes subsistent misérablement grâce à de menus travaux, durs et mal payés. Après la mort de sa mère, Marie décide de se venger de la société des «honnêtes gens».

© Lobster Films

“Ce qui fait plaisir ne fait jamais de mal”

La première fiction de Nelly Kaplan, La Fiancée du pirate, est plus intéressante pour son fond que pour sa forme. La jeune Marie vit seule avec sa mère dans une cabane éloignée du village où elle effectue un travail ingrat, en plus de subir le racisme de ses habitants et les attouchements de la fermière Irène. Suite à la mort de sa mère et à une injustice flagrante, Marie décide de se libérer des chaînes qui la retiennent et de se rebeller. Elle quitte son travail, s’embellit, puis commence à se prostituer auprès des hommes qui la draguaient lourdement sans qu’elle ne cède à leurs avances. Petit à petit, elle prend le contrôle de ces villageois en les séduisant un à un.

L’actrice principale, Bernadette Lafont, illumine chaque scène par son intelligence redoutable et sa beauté, mêlant l’érotisme d’une personnalité dominante et d’une femme libre. Marie obtient cette liberté en exploitant les bas-instincts de toute cette ribambelle de villageois insupportables agissant comme des “chiens enragés” en sa présence, comparaison pertinente au vu de la façon dont ils se collent à elle en permanence. Et pourtant, bien que Marie satisfasse leurs envies, ses clients la méprisent et vont même jusqu’à tenter de lui imposer un “tarif syndical” pour l’appauvrir et mettre fin à sa domination, alors qu’il suffirait d’arrêter de la fréquenter. Heureusement, Marie est suffisamment intelligente pour garder le contrôle : elle fait preuve d’intransigeance quant à ses tarifs, demande toujours de payer avant de passer à l’acte, feint les sourires sincères, et provoque ses courtisans avec une robe qui laisse entrevoir son corps. En plus de son intelligence et sa beauté, quelques détails rendent l’héroïne plus humaine et attachante, comme par exemple sa délicate “attention” envers le doyen du village en lui dévoilant son corps gratuitement alors que tous ses actes précédents étaient intéressés. On est également touché par son aspect enfantin lorsqu’elle découvre de nouveaux objets, qu’elle est excitée devant les cadeaux qu’elle reçoit, ou qu’elle en jette un sous prétexte que “c’est pas drôle s’il faut attendre”. Marie est donc un personnage haut en couleurs qui tient une grande partie du film à elle seule.

La Fiancée du pirate introduit également l’aspect politique de la filmographie de Nelly Kaplan, puisque la réalisatrice réactualise le mythe de la sorcière à la sauce féministe. Marie vit dans une cabane isolée du village, accompagnée d’un bouc (symbole du diable), se libère de toute morale religieuse et entraîne les autres dans sa propre décadence. Son premier acte de rébellion est de s’attirer les faveurs des villageois afin qu’ils l’aident à enterrer sa mère dans son jardin, et non dans le cimetière comme le préconise l’abbé. Ce premier péché sera évidemment accompagné des relations sexuelles hors-mariage et intéressées, facturées toujours plus chères. Marie défie la spiritualité au profit du matérialisme, puisqu’elle amasse dans un confort matériel toujours plus conséquent, symbolisé par l’évolution de la décoration de sa cabane. Pourtant, cela ne l’empêchera pas de tout laisser derrière elle en brûlant sa maison (rappelant l’iconographie de la sorcière) et en emportant seulement l’argent qu’il lui reste, après avoir dévoilé aux yeux de tous l’hypocrisie de ses clients. Marie n’a rien à se reprocher, ne ment à personne et n’a plus aucune chaîne qui la retient. Elle finit le film libre de toute morale, peut-être en direction d’un autre village à contrôler. Si le film souffre d’un rythme inégal, de ses acteurs qui se marchent dessus et d’une intrigue relativement répétitive, Nelly Kaplan crée un univers jouissif et libre, joyeusement féministe, avec une héroïne marquante et une portée politique intéressante. 

La réalisatrice Nelly Kaplan nous a quittés le 12 novembre 2020 à l’âge de 89 ans. En son hommage, Ciné-vrai lui consacre trois articles sur ses trois premiers films de fiction : La fiancée du pirate, Papa les p’tits bateaux et Néa.


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