
Intense mais gentillet
Vendu comme une sorte d’Intouchables entre une bourgeoise et un Gilet jaune, La Fracture se révèle bien plus alléchant ; Catherine Corsini semble avoir compris qu’un film tournant autour de cette relation ne pouvait qu’être catastrophique, et a opté pour un véritable thriller en huis-clos dans un hôpital chaotique sous contexte de crise sociale. La caméra tremble, la musique est quasi-absente, on se croirait parfois dans un film d’horreur au détour d’un couloir vide. Très vite, on oublie les rires provoqués par le jeu déchaîné de Valeria Bruni Tedeschi, et on entre dans l’ambiance anxiogène d’un hôpital surchargé.
Si La Fracture n’était qu’un thriller français lambda, on s’en satisferait bien volontiers : la réalisatrice prouve qu’elle sait gérer une tension en gardant une approche réaliste de son lieu, avec quelques touches cauchemardesques ici-et-là. Néanmoins, son ancrage politique appelle à la méfiance : est-ce un moyen opportuniste de donner du cachet et de la légitimité à un film qui n’avait pas besoin de ce contexte pour exister, alimenté par l’envie d’être un des premiers films mainstream abordant la question des Gilets jaunes ?
Dès lors, on devient plus critique quant à la montée en tension du film, qui obéit à une logique de surenchère. Non seulement tous les rapports humains sont hystériques au possible, mais on assiste à des violences policières à quelques mètres de l’hôpital, une irruption de gaz lacrymogène dans les services d’urgence, une foule se transformant en zombies, ainsi qu’une prise d’otage par un patient en psychiatrie. Il va sans dire que tout cela fait beaucoup pour une seule nuit, et l’on regrette que La Fracture ait besoin d’être aussi spectaculaire pour dénoncer le délabrement des hôpitaux publics.
De plus, le film étant aussi anxiogène, sa conclusion semble hors de propos : quittant le politique (la situation des hôpitaux) pour revenir à l’intime (la relation amoureuse entre Raf et Julie), on se demande pourquoi ces deux femmes s’aiment de nouveau alors que rien n’allait dans le sens d’une réconciliation. De plus, le parallélisme entre ce destin et celui de Yann, victime d’un accident de camion, interroge. Peut-être faudrait-il y voir une métaphore sur les classes sociales, les bourgeoises sortant renforcées par ce court passage dans la misère française, là où le prolétaire se retrouve encore plus diminué ? Comme si quoi qu’il arrive, la bourgeoisie remportait toujours la bataille ? Néanmoins, cette lecture ne semble pas correspondre au film, bien trop rassembleur pour porter un tel message.
Car finalement, les portraits dressés par La Fracture sont là pour brosser tout le monde dans le sens du poil : les bourgeoises ont des peines de cœur et des problèmes d’argent, le Gilet jaune est enragé mais ne défend pas la moindre idée politique, et l’infirmière est une héroïne qui travaille comme une acharnée malgré son agression quelques minutes plus tôt. La tension du film vient toujours de la foule ou des vrais marginaux (le malade en psychiatrie), qui ne sont jamais humanisés ; pour un film traitant d’une crise sociale aussi intense et complexe, c’est une occasion manquée. Il en demeure un thriller efficace loin d’être malhonnête, mais profondément inoffensif.
La Fracture de Catherine Corsini / Avec Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmaï / Sortie le 27 octobre 2021.
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