Un monde (2022) de Laura Wandel

Nora entre en primaire lorsqu’elle est confrontée au harcèlement dont son grand frère Abel est victime. Tiraillée entre son père qui l’incite à réagir, son besoin de s’intégrer et son frère qui lui demande de garder le silence, Nora se trouve prise dans un terrible conflit de loyauté.

© Tandem

De l’innocence à la cruauté

L’immersion est sans doute le maître-mot d’Un monde. Plongée dans le chaos de la cour de récréation, les corps fusent autour de Nora mais les visages manquent. À hauteur d’enfant, la caméra écrase les distances et plonge l’arrière-plan dans le flou, reprenant l’imagerie d’un thriller ou d’un film d’horreur dans lesquels n’importe qui peut surgir de la brume à tout instant. Dès lors, le parcours de la jeune fille semble truffé d’obstacles, et on jurerait que les chuchotements au loin parlent d’elle.

Loin des préoccupations des enfants, les adultes ne servent qu’à réguler le fonctionnement de cette jungle. Les parents, capables de régler n’importe quel conflit à la sortie de l’école en haussant le ton, sont impuissants la journée. La dame de la cantine, dont le visage est en hors champ, incarne l’autorité désincarnée perpétuant la hiérarchie sans tenir compte des sentiments des élèves. À l’inverse, la maîtresse de Nora fait preuve de sensibilité, a une vie de famille, et apprend à la jeune fille à réparer ses erreurs dans une magnifique scène qui retranscrit à la perfection les rapports de transmission qu’un adulte et un enfant peuvent entretenir.

L’intelligence du récit réside en partie dans son point de vue : en choisissant de suivre la sœur d’un harcelé et non le harcelé lui-même, le film évite la facilité d’imposer une succession de scènes trop difficiles à son spectateur pour créer une compassion forcée. Ici, il est avant tout question du regard des autres et de comment les victimes subissent une double-peine : leurs réputations sont atteintes, ce qui est d’autant plus désastreux à un âge où l’intégration est primordiale et le contact avec autrui difficile. Dès lors, les amies de Nora, qui ne sont pourtant pas dépeintes négativement, se moquent du pauvre Abel ; de l’innocence à la cruauté, il n’y a qu’un pas. Ces rapports arbitraires se retrouvent également dans les scènes de jeux, dont les règles varient selon l’humeur et sont décidées par la plus populaire du groupe. Les enfants étant à fleur de peau, ils passent de l’amusement à la frustration en une fraction de seconde.

La première moitié du film est d’une efficacité redoutable : cette approche à la fois réaliste et subjective fonctionne à la perfection, l’actrice de Nora crève l’écran, et les conflits du personnage se font terriblement ressentir. Une fois la tension relâchée, certains parti pris révèlent néanmoins leurs faiblesses, comme le choix de ne jamais quitter l’environnement scolaire : la tension semble parfois maintenue un peu trop artificiellement, et le film passe sous silence quelques pans entiers du monde de l’enfance pourtant reliés à l’école (le plaisir de rentrer chez soi, la joie du week-end, l’appréhension du lundi, ou la parenthèse enchantée que sont les anniversaires entre amis). Le film manque cruellement de pauses qui auraient pu être de véritables moments de grâce, et qui sont d’autant plus importantes dans un tel contexte. 

De plus, le récit d’Un monde s’enlise malheureusement dans sa seconde moitié, car il devient trop démonstratif : les événements s’enchaînent mécaniquement au service d’une seule idée, à savoir qu’une victime peut vite devenir un agresseur. Le parti pris de suivre exclusivement le point de vue de Nora et le refus de la psychologisation trouvent ici leur limite, car on ne voit pas assez en quoi la nouvelle position d’Abel est gratifiante pour lui. Dès lors, le film perd en force, et si le conflit final opposant l’amour à la violence est de toute beauté, la scène est un peu trop théorique pour marquer. Malgré tout, l’efficacité de la première moitié reste intacte, et il y a chez Laura Wandel une radicalité et un sens de l’observation que l’on a hâte de retrouver.

Un monde de Laura Wandel / Avec Günter Duret, Maya Venderbeque, Karim Leklou / Sortie le 26 janvier 2022.


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