Années 20 (2022) d’Elisabeth Vogler

Au fil d’une déambulation dans Paris du Louvre jusqu’aux buttes Chaumont, ce plan séquence d’une heure et demie articule des saynètes diverses comme pourrait le faire un photographe de rue.

© Wayna Pitch

Entre formalisme et éloge de la médiocrité

En reprenant le désir inépuisable de filmer Paris, s’inscrivant dans la lignée de Chris Marker et de son Joli mai, Élisabeth Vogler, jeune réalisatrice au pseudonyme bergmanien, accomplit une prouesse technique. Toutefois, ce film virtuose semble perdu dans ses propres enjeux formels au détriment d’une recherche approfondie sur la puissance évocatrice que l’on pourrait attendre du cinéma.

Il est indéniable que ce long-métrage représente un exploit d’un point de vue pratique, pourtant si les enchaînements de ces petites scènes de la vie parisienne parviennent à donner envie de croire que la magie pourrait encore opérer, le contenu même de l’œuvre est flottant : au fil des croisements impromptus de multiples figures se dévoilent des dialogues vides de sens qui reflètent les pérégrinations d’une bourgeoisie moyenne et autocentrée. L’absence de regard critique, de mystère voire de toute force réelle de questionnement, révèle une écriture sans grande profondeur.

À mi-chemin, un visage se distingue : une jeune femme vêtue d’une robe de mariée, en déshérence. Elle fume avec langueur une cigarette quémandée à une passante en monologuant face à un landau abandonné. Si la facture peu travaillée du dialogue peut être discutée, un jeu fort et pénétrant se démarque. Ces quelques instants sont probablement les seuls à émerger du film, vibrants et insolites. Outre une scène fulgurante, les autres éléments sont majoritairement triviaux et sans contours précis.

Au-delà d’une peinture complaisante visant la banalité, le casting hétéroclite peine à nous mettre en phase avec la plupart des personnages qui sont comme empoussiérés sous le poids d’une sorte de léthargie intellectuelle et semblent toujours à distance par rapport au monde sans pour autant adopter le statut de curiosités. Les acteurs ne sont ni beaux ni laids, ni palpitants de bonheur ni désespérés, ni convaincants ni absolument mauvais : ils sont moyens. Il en va de même pour l’esthétique du film qui, dans son ensemble, ne parvient pas totalement à faire ressortir l’atmosphère vive et saisissante de Paris.

Une note pathétique s’observe dans un final digne d’un film publicitaire ou d’un clip américain de musique pop, réunissant tous les protagonistes en chanson. Ce choix brise le point de vue naturaliste adopté précédemment sans pour autant se recommander par une poésie exceptionnelle : le charme n’opère pas et l’issue est donc légèrement comique.

Enfin, si le projet peut paraître intéressant dans son principe, cette démarche qui se recommande si bien recouvre un film en somme peu original. Dans une œuvre qui tient en haleine par sa forme et sa mise en scène des plus habiles, les spectateurs exigeants pourront se trouver incommodés par l’absence de proposition éloquente et l’incapacité à exprimer la grâce de l’ordinaire. Il est alors possible de transposer la maxime d’Henri Jeanson en affirmant qu’on ne fait pas du cinéma avec des bons sentiments.

Années 20 d’Elisabeth Vogler / Avec Noémie Schmidt, Alice de Lencquesaing, Manuel Severi / Sortie le 27 avril 2022.


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