
Il était une fois dans le Sud-Ouest
Un peu moins de deux ans après le très réussi Teddy, c’est un plaisir de retrouver les frères Boukherma pour un nouveau cocktail rafraîchissant. Fini le loup-garou symbole de la marginalisation d’un jeune homme, place au requin qui réveille les pulsions violentes de la foule. Comme pour Teddy, il y a dans L’Année du requin la volonté très claire d’ancrer le récit dans un lieu (ici une station balnéaire du Sud-Ouest de la France), mais aussi dans une époque : la radio locale hurle à la bien-pensance woke tandis que les personnages mentionnent la crise sanitaire qui fragilise les commerçants et frustre les vacanciers. Malheureusement, cette volonté régionaliste se retrouve quelque peu diminuée par le choix de Marina Foïs, Kad Merad et Jean-Pascal Zadi comme personnages principaux ; les trois acteurs offrent des performances tout à fait correctes, mais il est dommage que les non-professionnels ou inconnus soient relégués aux rôles secondaires, à l’exception de Christine Gautier.
Pour ce qui est de la mise en scène, L’Année du requin dilue le style développé dans Teddy. La caméra y est bien plus libre et mobile dans les scènes de tension, mais on retrouve ces savoureux plans fixes en grand angle et ces cadrages étranges qui insèrent une inquiétante étrangeté au quotidien, tout en étirant les visages pour les rendre burlesques. Ce parti-pris résume à lui seul le difficile équilibre que le film parvient à tenir : l’humour et l’horreur se marient très bien, les réactions absurdes des personnages ne désamorcent jamais la tension et l’on arrive à rire tout en étant inquiet. Deux scènes illustrent à la perfection cette symbiose : la découverte de jumeaux au nez exagérément gros, concept loufoque mais suffisamment étrange pour provoquer un sentiment d’inconfort, ainsi que le cauchemar de Maja, où les attitudes caricaturales des vacanciers semblent les transformer en morts-vivants.
La menace du requin est quant à elle parfaitement gérée sur le plan de la mise en scène : privilégiant le hors champ au frontal, le film alterne entre des vues subjectives du requin et d’autres plans confus où l’on voit son aileron dépasser de la surface de la mer. L’idée est simple mais efficace, et les scènes de tension fonctionnent très bien individuellement. C’est malheureusement au niveau de l’écriture que le film tombe à plat, la faute à des enjeux fragiles. En effet, le requin est une menace séquentielle : puisqu’il ne peut pas attaquer hors de l’eau, les personnages sont hors de danger dès qu’ils sont sur la terre ferme, ce qui est le cas de la majeure partie du film. La tension peine donc à se prolonger, d’autant plus qu’on a vu les gendarmes neutraliser un requin assez facilement une première fois. Le rythme s’en retrouve englué, et le récit s’empêtre dans des sous-intrigues un peu forcées, comme la retraite de Maja ou sa relation avec son mari.
Ce constat est d’autant plus triste que le climax du film est vraiment réussi, délaissant l’approche réaliste de la menace pour une plongée sous-marine où l’ombre du requin et de Maja forment des images aussi poétiques que terrifiantes. Derrière l’apparente sobriété des frères Boukherma se cache un cinéma d’une intensité rare, en témoigne ce splendide passage où Marina Foïs rampe au sol, accompagnée par les accents synthwave de la musique d’Amaury Chabauty. Même si L’Année du requin impressionne moins que Teddy, ce second film en duo, plus léger mais tout aussi frais que le premier, confirme les espoirs porté par les deux frères repérés au festival de Gérardmer ; on espère vite les retrouver.
L’Année du requin de Ludovic et Zoran Boukherma / Avec Marina Foïs, Kad Merad, Jean-Pascal Zadi / Sortie le 3 août 2022.
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