
Miettes organiques
« O vraiment marâtre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir »
Ronsard, Les Odes, 1565
« Et je serai poussière
Pour toujours demain »
Françoise Hardy, Mon amie la rose, 1965
L’existence se dévêt trop rapidement de sa pellicule de fraîcheur. Le memento mori végétal se dégrade dans la lente transition de la chair vers la poussière, et si la matière est désirable, l’érotisation n’est qu’un passage qui voile la putréfaction. Vortex s’ouvre sur un couple âgé qui affirme « La vie est un rêve non ? Oui, la vie est un rêve dans un rêve », avant d’être divisé, chacun suivant son itinéraire vers le sommeil, presque condamnés aux 9 mois fermes qui ordonnent la création comme la décomposition.
Gaspar Noé est impitoyable dans son traitement de la matière, on pourrait citer la phrase d’ouverture d’Irréversible, « Le temps détruit tout ». Dans Vortex, la mémoire et la mort se confrontent au sein d’une exergue glaciale : « à tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur ». À nous tous, spectateurs qui avançons vers cette issue fatidique, le chemin est irréversible, et ce que nous verrons n’est que l’amère prédiction de ce qui nous guette.
Le rêve n’est que le résultat de réactions chimiques : l’âme ne vaut pas mieux que la chair et la mort n’est plus qu’un long sommeil qui ne verra plus jamais naître de rêves. La cruauté du film vient du tango morbide entre conscient et inconscient qui prend place au sein du personnage de Françoise Lebrun, qui déclare les yeux ternes : « je serais mieux morte ».
Tout n’est que matière, la chair se transforme en poussière, et les souvenirs finissent emportés dans la tuyauterie des cabinets, détail qui semble justifier le titre du film. Face aux tourbillons des souvenirs, tout est chaos dans cette mémoire pleine de rides. Le matérialisme de Noé côtoie un nihilisme discutable. On peut en effet reprocher au film quelques abus scénaristiques : si le rôle de la drogue peut se comprendre par cette réduction de l’âme à la stricte matérialité, à force de cynisme, le cinéaste finit par créer un trop plein de dégoût qui dessert son propos. Il en va de même pour la tromperie du mari ou le spectacle du père qui se drogue pour son enfant. On aurait préféré rester concentré sur cette cruelle séparation du couple qui n’a pas besoin de détails superflus pour révéler sa violence, déjà bien représentée par l’écran scindé et la disparition du visage cadavérisé des personnages dans la clarté.
Le nihilisme de Vortex n’est cependant pas simpliste, l’intervention de la religion lors de la récitation du Notre Père par Françoise Lebrun est assez inattendue. Sénilité et nihilisme ne font pas bon ménage, il ne reste plus que l’espoir d’une vie future pour quitter sereinement le présent.
« Croit, celui qui peut croire
Moi, j’ai besoin d’espoir
Sinon je ne suis rien »
Nous ne sommes rien ; qu’un assemblage d’atomes régulés par les réactions chimiques et le temps. L’art et l’écriture sont les seuls leviers pour s’inscrire dans l’éternel. Dans la cruelle vacuité des lieux inhabités nos objets subsisterons, embaumés par la nostalgie de notre quotidien et plus fidèles à notre mémoire que nos cellules désuètes.
Vortex de Gaspar Noé / Avec Dario Argento, Françoise Lebrun, Alex Lutz / Sortie le 13 avril 2022.
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