Des garçons de province (2023) de Gaël Lépingle

Employé de boîte de nuit, Youcef s’éprend du danseur d’une troupe queer en tournée estivale. Ailleurs, un jeune homme juché sur de hauts talons traverse le village qu’il s’apprête à quitter. Dans un bourg isolé, Jonas a rendez-vous pour des photos érotiques avec un inconnu. Il y a celui qui reste, celui qui part, et…

© La Traverse

Tout ce que le vide rend nécessaire

Les longues routes monotones plongent dans une ruralité peu explorée, éloignée des paillettes : tout étonne dans cette fadeur. Quelques maigres détails se cachent sous cette pudeur rurale, les personnages se fondent ou s’arrachent à ce décor. Des garçons de province s’intéresse à ces marginalités isolées, condamnées à la discrétion. 

Le film se découpe en trois tableaux indépendants. Le premier s’intéresse au décalage entre Youcef et un danseur drag queen, distinction qui se transforme en tension érotique. Le deuxième suit la démarche sensuelle d’un jeune homme en chaussures à talons, marche introductive à son prochain départ parisien, long adieu aux rues vides. Enfin, le troisième se penche sur la rencontre entre un parisien et un professeur d’espagnol, Matthieu, secrètement photographe. Cette tension décalée et érotique, moins timide que celle du premier tableau, se termine tout de même en une cadence rompue, emblématique d’un décalage irréconciliable. À l’image de cette rupture entre ville et campagne, les marginalités sont condamnées à toujours se scinder.

Le rapport au cadre et à l’espace évolue tout au long du film. Le premier tableau présente l’arrivée d’une troupe de drag queen, envahissant l’écran de ses danses exubérantes. Puis le cadre se réduit dans le deuxième tableau, jusqu’à atteindre le format carré dans le dernier. Ce cadre proche du portrait rappelle les photos à la saveur ringarde prises par Matthieu. La scène finale prend la totalité de l’écran : immersion dans un cabaret parisien, elle arrive comme une respiration, un relâchement qui nous fait savourer extravagance et liberté.

Gaël Lépingle joue avec les noms de villages d’une poésie désuète. Dans cette vacuité rurale, sous les rues simples et semblables se cache un projet esthétique, la fadeur vise à souligner les silhouettes atypiques et marginales des personnages. La vacuité engendre la nécessité d’histoires à l’apparence contingente : on ne se choisit pas, on se trouve et se supporte. Le décor rural devient paysage des passages, salle d’attente pour les envolées parisiennes, dont certaines resteront avortées. Les personnages de Gaël Lépingle se mouvent dans l’éphémère : le départ des plus jeunes contraste avec les plus âgés, définitivement ancrés. Les personnages ne sont pas branchés, qu’il s’agisse de Youcef ou de Matthieu, ils se voilent sous une épaisse couche de mystère et les tensions érotiques sont toujours embaumées de frustration, le charme du citadin n’atteindra pas le campagnard taciturne.

Des garçons de province fait preuve d’une jolie pudeur et d’une retenue qui nous laissent presque sur la même frustration que les personnages. Chacune des histoires se termine sur un départ, et on aimerait connaître l’évolution des caractères, comme on aurait aimé connaître chacune des issues de ces ambiguïtés effleurées.

Critique écrite à partir d’une rencontre avec le réalisateur Gaël Lépingle, le 7 février 2023 au Reflet Médicis.

Des garçons de province de Gaël Lépingle / Avec Léo Pochat, Yves-Batek Mendy, Edouard Prévot / Sortie le 1er février 2023.


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