
De la main rouge à la main verte
Master Gardener débute comme un documentaire botanique étrangement hypnotisant, dans le jardin d’un riche domaine dont Narvel supervise l’entretien, impassible. Sa voix off et ses différentes interactions s’emploient chacune au service de parallèles végétaux, à tel point qu’il serait étonnant que cette obsession ne recèle pas quelque mystère.
En effet, la vie de Narvel n’a pas toujours consisté à livrer ses considérations horticoles dans un petit journal : il était nazi. On lui découvre des tatouages distinctifs et des bribes de son passé de dangereux suprémaciste blanc, enterré sous ce jardin dont le film file la métaphore de la portée rédemptrice ; arrachage de mauvaises herbes, plantage de graines dans l’espoir de belles nouvelles pousses. Cette méticuleuse retraite botanique sous cloche est levée avec l’arrivée de Maya, dont il tombe vite amoureux. Cadette de quelques décennies, elle est en plus la nièce de la propriétaire du domaine dont il est l’amant. Et, elle est métisse, ce qui exclut un peu plus la possibilité qu’elle soit elle aussi suprémaciste repentie.
Pourtant, il gagne ses faveurs à force d’être là, et sont chassés par la tante qui leur croit une relation plus avancée (ils coucheraient) qu’elle ne l’est (il ne peut pas se déshabiller). Cette attirance réciproque, d’où qu’elle vienne (le reniflage commun de terre a peut-être aidé), suffit en tout cas à leur expulsion, qui laisse en même temps l’opportunité à la violence larvée -en tant de flashbacks rappelant son passé destructeur- de prendre un nouvel envol. Comme un éboulement qui remettrait en friche le terrain pulsionnel.
Narvel reprend les armes pour aider Maya, qui se révèle souffrir d’une addiction, à se débarrasser de ses harceleurs, dont le point de violence culminant -montré à l’écran- consistera en la dégradation du jardin. Ce conflit est difficilement crédible, comme la relation des deux protagonistes sur la route de la désintoxication où, scènes contrastantes cependant, éclosent dans la nuit de lumineux chemins fleuris qui se déroulent sur le passage de leur voiture. Quitté le canal sublimatoire, du jardin qui se sert des pulsions mauvaises graines pour son art, la violence change d’objet. Couper, arracher autre part, replanter aussi.
Narvel accouche son passé nazi à Maya, qui finit par l’accepter après un jour de froid à la contrepartie de la promesse d’effacement de ses tatouages, et de l’ascendant sexuel qu’elle prend dans la relation. De la même façon que le jardin à l’apparence délicate naît d’un processus en force, c’est leur brutale traversée qui leur permet de trouver le leur. Désormais mieux enracinés, les deux personnages apparaissent comme deux pousses résilientes certes, mais un peu trop synthétiques. L’affranchissement des funestes destinées, la possibilité rédemptrice est comprise, mais pas tout le temps digérée.
Master Gardener de Paul Schrader / Avec Joel Edgerton, Sigourney Weaver, Quintessa Swindell / Sortie le 5 juillet 2023.
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